Sandy Borins, que beaucoup d’entre vous connaisse, a publié un livre en 1983 par l’entremise de l’IAPC sur le conflit du bilinguisme dans le contrôle de la circulation aérienne qui s’est déroulé en 1976. Je me rappelle bien de cet épisode dans nos débats nationaux. Voici l’histoire que raconte Sandy…..
Un message laissé par une voix du passé : Jean-Luc Patenaude, ex-contrôleur aérien québécois que j’avais interviewé pour Le Français dans les Airs, mon histoire du conflit du bilinguisme dans le contrôle de la circulation aérienne, appelait pour dire qu’il passerait à la populaire émission de télévision de Radio-Canada « Tout le monde en parle ».
À l’intention de ceux et celles qui ne sont pas familiarisés avec le contexte historique, le voici en bref. Au début des années 70, les pilotes et contrôleurs francophones au Québec ont commencé à introduire le français dans un système de contrôle de la circulation aérienne qui ne fonctionnait qu’en anglais. Les pilotes et contrôleurs anglophones résistèrent, affirmant qu’ajouter une seconde langue réduirait la sécurité. Le gouvernement Trudeau, cependant, appuyait les francophones. Les pilotes et contrôleurs anglophones, tirant profit de l’insatisfaction du public au Canada anglais par rapport aux politiques de bilinguisme de Trudeau, déclenchèrent un débrayage sauvage, ce qui interrompit tout trafic aérien au Canada à la fin de juin 1976, deux semaines avant le début des Jeux olympiques de Montréal.
Afin de mettre fin au débrayage, le gouvernement Trudeau accepta de nommer une commission d’enquête judiciaire pour déterminer si le contrôle de la circulation aérienne bilingue était en effet sécuritaire. La colère des francophones face à cette entente contribua grandement à l’élection du Parti québécois au Québec cinq mois plus tard. En bout de ligne, la commission d’enquête appuya la position du gouvernement, et le contrôle de la circulation aérienne bilingue fut mis de l’avant au Québec en 1979.
En plus de m’informer que l’émission de télé passerait en revue le conflit, Patenaude m’a demandé comment il pouvait obtenir des copies de Le Français dans les Airs pour ses collègues. La question m’a fait tiquer. Peu de temps après la publication de Le Français dans les Airs (la version française de The Language of the Skies) en 1983, l’éditeur a fait faillite. J’ai mis la main sur toutes les copies qui restaient auprès du syndic de faillites et ai distribué la plupart aux bibliothèques québécoises et aux membres francophones de l’Institut d’administration publique du Canada, qui était partenaire de la publication originale. J’en avais plusieurs douzaines d’exemplaires dans mon sous-sol, et je les ai acheminés pour la plupart à Jean-Luc.
Ceci m’a incité à envisager de numériser tout le livre et de le rendre librement accessible. La façon la plus simple de le faire s’inscrit dans l’ambitieux projet de Google de numériser toute la connaissance humaine. J’ai donc envoyé une copie à Google et j’ai précisé que tout l’ouvrage serait visualisable. Rendez-vous à www.books.google.com, recherchez Sandford Borins, puis cliquez sur « Full view » (Affichage du livre entier) (http://books.google.com/books?q=Sandford+Borins&as_brr=1) et vous obtiendrez l’ouvrage à télécharger ou à lire en ligne en totalité ou en partie.
Verser le tout en ligne m’a amené à réfléchir à quatre thèmes : les narrations contentieuses, l’élaboration de politiques fondées sur la preuve, les fonctionnaires innovateurs et la préservation d’un héritage.
Le livre a trait à une narration contentieuse. Pour les souverainistes, le récit est l’une des nombreuses humiliations du fédéralisme canadien en raison de l’opposition du Canada anglais à l’usage du français dans l’espace aérien québécois. Pour les fédéralistes – et c’est là l’histoire que j’ai racontée – c’est un accommodement en bout de ligne réussi du caractère distinct des francophones dans un État fédéral.
Les deux narrations conflictuelles, cependant, ne sont pas mutuellement exclusives. À coup sûr les francophones, y compris de puissants ministres du cabinet de Pierre Trudeau tels que Marc Lalonde et Jean Marchand, se sont sentis humiliés par les concessions qu’ils ont dû faire pour convaincre les pilotes et contrôleurs de mettre fin à leur débrayage. Mais la solution au problème, assurer le contrôle de la circulation aérienne dans l’une ou l’autre des langues officielles au Québec, a été entièrement mise en oeuvre à peine trois ans plus tard.
La mise en oeuvre en soi est un net exemple de ce que nous pourrions maintenant appeler l’élaboration de politiques fondées sur la preuve. Lorsqu’il se préparait à faire valoir son point devant la commission d’enquête judiciaire, Transports Canada a mis au point une simulation d’opérations de contrôle de la circulation aérienne, en utilisant de vrais contrôleurs et pilotes, et a comparé le fonctionnement bilingue et unilingue dans toutes les conditions imaginables (notamment des orages durant une journée de déplacement à son comble). La conclusion retentissante qui est ressortie des données était que le système bilingue était tout aussi sécuritaire et efficace que le système unilingue.
La motivation à installer un contrôle de la circulation aérienne bilingue au Québec est venue des fonctionnaires innovateurs – des contrôleurs francophones tels que Jean-Luc Patenaude qui croyaient que la sécurité serait améliorée si les pilotes dont la langue maternelle était le français étaient servis dans leur langue et qui par conséquent commencèrent officieusement à utiliser le français.
La version française de mon livre a vu le jour étant donné que le directeur de l’Administration canadienne des transports aériens du temps, Walter McLeish, le souhaitait traduit. Il a permis à la traduction de se matérialiser en la confiant au service de traduction du ministère, qui l’a produit sans aucun frais ni pour moi ou pour l’éditeur. Traduire des ouvrages savants ne faisait pas partie de l’étroit mandat de Transports Canada. Mon impression – et je ne le saurai jamais, puisque McLeish est décédé il y a quelques années de cela – est que McLeish l’a fait parce qu’il pensait que c’était la bonne chose à faire et il n’a pas demandé l’autorisation de son ministre, de son sous-ministre ou du Conseil du Trésor.
Au moment d’interviewer les participants au conflit, bon nombre ont déclaré qu’ils souhaitaient rédiger un livre sur le sujet. Mais écrire votre premier ouvrage dans vos temps libres n’est pas chose facile; essentiellement, j’écrivais leur livre et préservais leur héritage. (Le seul participant à avoir écrit sur le conflit était le commissaire aux Langues officielles du temps Keith Spicer qui lui a consacré un chapitre dans son livre paru en 2004, Life Sentences: Memoirs of an Incorrigible Canadian. Spicer m’a demandé de formuler des commentaires sur une version préliminaire et a souvent fait référence à mon livre.)
Beaucoup, peut-être même la plupart, de ce qui est affiché sur Internet est transitoire, mais c’est également un lieu où faire circuler un savoir durable. Faire numériser Le Français dans les Airs et l’afficher en ligne est ma tentative visant à m’assurer que l’histoire faisant autorité de cet important épisode du conflit linguistique canadien et de la réconciliation, et une partie de mon propre héritage savant, soit accessible de manière vaste et permanente.